Méthodologies
Échantillonnage de microplastiques
Une partie de notre travail consiste à prélever des échantillons d'eau de mer afin de collecter des microplastiques. En fonction des partenaires et de leurs besoins, les filets utilisés et les protocoles suivis ne sont pas les mêmes.
Dans la colonne d'eau : le filet fermant
Le filet fermant permet d'échantillonner dans la colonne d'eau, entre 2 profondeurs choisies. Pendant le prélèvement, le bateau doit être à l'arrêt.
Le protocole d'utilisation du filet fermant WP2 a été validé par les expéditions océanographiques 2017, 2018 et 2019.
Le filet que nous utilisons a une maille de 75 µm : il peut donc collecter toutes les particules de taille supérieure à 75 µm.
En surface : le filet manta
Le filet manta permet d'échantillonner à la surface de l'eau, dans les 15 premiers cm de la colonne d'eau. Pendant toute la durée du prélèvement, le filet doit être tracté par le bateau en mouvement à une vitesse comprise entre 3 et 5 noeuds.
En 2022, l'équipage a embarqué 2 filets manta différents. L'un a une maille de 125 µm (LNE - AgroParisTech) et l'autre* de 300 µm (Oceaneye).
*Ce filet nous a été prêté par la Swiss Cetacean Society
Echantillonnage de nanoplastiques
En profondeur : les bouteilles Niskin
L'échantillonnage des nanoplastiques se fait à l'aide de quatre bouteilles Niskin. Il s'agit de bouteilles de prélèvement, utilisées pour prélever de l'eau à une profondeur donnée, en les descendant au bout d'un câble dans la mer.
Pour SEA Plastics, en 2021, quatre bouteilles Niskin étaient plongées dans la colonne d'eau, puis remontées à bord, où les échantillons sont passés dans des tamis de mailles de plus en plus fines, pour ensuite être filtrés sur un support en microfibres de verre qui gardera toutes les particules comprises entre 700 nm et 50 µm.
Les supports en microfibres de verre en 2021 ont rendu les analyses des échantillons difficiles. En 2022, des essais seront peut-être réalisés avec un support de nature différente.
Expériences embarquées
En 2022, l'équipage a décidé de mener ses propres expériences à bord du bateau. Ces expériences réalisées en conditions environnementales ont pour but d'étudier deux problématiques liées aux microplastiques :
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le vieillissement des microplastiques en milieu marin
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le transport de polluants par les microplastiques
La mise en place de ces expériences a nécessité des phases de concertation, de design, de prototypage, de tests et d'industrialisation avant le début de l'expédition. Une fois à bord, de nouvelles sessions de bricolage, de tests et d'ajustements ont été nécessaires. Les essais en laboratoire et la réalité du terrain, ce n'est pas la même chose !
Vieillissement des microplastiques en conditions environnementales
Dans l'environnement, les particules de plastique sont soumises à de nombreuses contraintes de nature mécanique (vagues, courant), physique (UV, température), chimique (oxydation, hydrolyse) et biologique (biodégradation par des microorganismes).
Avec le temps, les plastiques subissent alors des modifications structurelles (abrasion, fissures, fragmentation, altération de la cristallinité...) mais également chimiques (phénomène d'adsorption et de désorption de molécules). Des biofilms peuvent également se former à la surface des plastiques.
Le vieillissement du plastique est une réelle problématique car il démultiplie les dangers liés à la pollution plastique : fragmentation des particules en micro- et nanoplastiques, favorisant leur dissémination et augmentant l'ingestion par les organismes vivants ; formation de biofilms et transport d'espèces pathogènes et/ou invasives ; augmentation de la capacité d'adsorption de polluants et de désorption d'additifs dans le milieu marin.
1. Conception
Nous avons choisi d’étudier le vieillissement de quatre plastiques différents. Le polyéthylène (PE) et le polypropylène (PP) sont communément trouvés dans l’environnement marin et peu d’études se sont penchées sur leur vieillissement en conditions environnementales. Le polyéthylène téréphtalate (PET) est un plastique très résistant d’après la littérature. C’est pourquoi nous avons choisi de le prendre comme témoin négatif. Enfin, nous avons choisi un polymère biodégradable (amidon de pomme de terre) peu résistant comme témoin positif.
Avant l’expédition, des bandelettes ont été découpées à la main dans des objets en PE, PP, PET et en plastique biodégradable.
Là encore, tout ne se passe pas comme prévu lorsque l’on est sur le terrain.
Initialement, 3 lots composés des 4 natures de plastiques devaient être immergés dans l’eau de mer pendant toute la durée de l’expédition à trois profondeurs différentes.
Nous avions imaginé un design expérimental consistant à tracter une chaîne à l’arrière du bateau, sur laquelle auraient été fixés trois paniers protecteurs en métal contenant les bandelettes de plastique. Un lot de bandelettes aurait également été disposé sur le pont du bateau.
2. Mise en place à bord
Malheureusement, ce protocole ne pourra pas être suivi de cette façon. En effet, tracter une chaîne de 10m n’est possible qu’au large. Or, la durée totale cumulée de nos escales en port étant trop importante, la durée d’immersion dans l’eau des bandelettes aurait été trop courte pour détecter des modifications significatives de leur structure.
Nous avons donc choisi de changer les conditions d’exposition des lots de bandelettes :
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Immersion dans l’eau de mer entre la surface et 2m de profondeur
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Exposition à l’air libre avec embruns : sur le pont du bateau
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Exposition à l’air libre sans embruns : en haut du mât du bateau
Transport de polluants par les microplastiques
Il a été montré que les microplastiques (particules < 5 mm) présents dans l’océan sont aptes à transporter des polluants. Ces composés peuvent provenir de la composition propre des plastiques (additifs chimiques conférant des propriétés au plastique, ajoutés au cours de sa fabrication). Mais il peut aussi s’agir de composés chimiques présents dans l’océan (hydrocarbures, pesticides, résidus de médicaments, polluants organiques persistants, perturbateurs endocriniens…) qui s’adsorbent sur les microplastiques, c’est-à-dire qui s’y fixent.
Les microplastiques sont des supports de choix : tous les composés hydrophobes (qui ne peuvent former de liaison avec l’eau) ont tendance à se fixer sur tous les résidus qui ne sont pas des molécules d’eau. D'autres composés dits "amphiphiles" s'y fixent mais de manière plus fragile.
Ce transport de polluants représente un danger pour la santé des organismes marins : lors de l’ingestion passive de microplastiques et sous l’effet des fluides digestifs, les polluants (en particulier amphiphiles) peuvent être relargués dans les tissus des organismes vivants et perturber leurs grandes fonctions (croissance, reproduction, respiration...).
1. Conception
Afin d’étudier le transport de micropolluants par les microplastiques, nous avons imaginé un design expérimental consistant à immerger des microplastiques « vierges », de natures différentes mais connues, dans l’eau de mer pendant notre expédition. Ces microplastiques seraient regroupés dans des petites boites, elles-mêmes contenues dans des jarres.
CAHIER DES CHARGES
Les boîtes doivent être :
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filtrantes (l’eau doit passer dedans) et contenir les microplastiques (qui ne doivent pas en sortir)
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résistantes (pour résister aux chocs)
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identifiables quant à la nature de microplastiques qu’elles contiennent
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leur taille doit permettre de contenir 2.5 g de microplastiques
Les jarres doivent être :
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traversées d’un flux d’eau de mer uniforme
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il ne doit pas y avoir de surface d’eau libre
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alimentées en eau de mer au large et dans les ports (l’eau des ports étant surpolluée, un circuit « buffer » doit être mis en place)
Boîtes filtrantes et microplastiques
De nombreuses discussions ont été nécessaires pour déterminer le système et les matériaux les plus propices. Plusieurs idées ont émergé pour la fabrication des boîtes filtrantes :
Idée 1 : percer le couvercle des boites avec un système de clous type “tapis de fakir”.
Idée 2 : plaquer un treillis métallique sur l’ouverture des boites avec des vis
Idée 3 : plaquer un treillis métallique avec un cylindre un tout petit peu plus grand que la hauteur de la boite et visser en force le capuchon sur le pas de vis.
Des prototypes ont donc été conçus et testés.
Finalement, c’est le prototype avec le cylindre qui a été retenu.
Il a ensuite fallu passer à l’industrialisation : il y avait 300 boîtes à fabriquer. Les cylindres ont pu être fabriqués à l’atelier ATMX de l’EPFL à partir de tubes en aluminium.
Les boîtes ont été découpées au poinçon, les treillis et le tissu métallique à la pince coupante.
Il a également fallu réfléchir à la production, massive, de microplastiques. Une partie des microplastiques a été râpée ou découpée à partir de macroplastiques (tuyaux, bouteilles…). Pour certains morceaux encore trop gros, une cryogénisation (azote liquide, -150°C) a été nécessaire, suivie d’un broyage et d’un tamisage.
Nous avons choisi d'étudier des microplastiques communément retrouvés dans le milieu marin : le polyopropylène (PP), le polystyrène (PS), le polyéthylène téréphtalate (PET) et le polychlorure de vinyle (PVC). Nous étudierons aussi des particules de pneus (peu étudiés en conditions environnementales et parmi les premières sources de microplastiques primaires).
Jarres
Au total, six jarres seront utilisées à bord :
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trois d’entre elles serviront de buffer : nous les rempliront au large avant notre arrivée dans chaque port, afin de pouvoir renouveler l’eau des jarres expérimentales lors de nos escales
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trois jarres « expérimentales » contiendront les boîtes filtrantes remplies de microplastiques
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jarre A : contient les boîtes PVC et PS
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jarre B : contient les boîtes PET et PP
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jarre F : contient les particules de pneus
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2. Mise en place à bord
Une fois les jarres embarquées, il a fallu réfléchir à un moyen de les alimenter par un flux d’eau de mer. Pour cela, nous avons utilisé un passe-coque déjà existant pour profiter d’une ouverture présente sur le ponton. Le système d’eau douce était relié à ce passe coque, avec une vanne déjà en place et reliée à la pompe. (Ce tuyau d’eau douce permet l’approvisionnement en eau à quai, et en mer pour arroser le pont d’eau douce.) Au même endroit, un tuyau du circuit d’eau salé relié à cette même pompe était condamné. Nous l’avons remis en marche et relié au passe-coque avec un T et un système de double-vanne.
Les trois jarres expérimentales ont alors pu être branché au circuit d’eau salée via une nourrice.
La pompe ne pourra pas tourner en continu en haute mer, sa consommation en électricité étant trop importante. Elle fonctionne donc par intermittence pour permettre un renouvellement régulier de l’eau.