L'équipe du premier quart se lève au tout petit matin. A 5h30, après avoir bu un café bien chaud et enfilé vestes et pantalons de quart, les amarres sont lâchées. Le moteur fait glisser le Dune sur les eaux calmes du golfe de Saint-Florent. Alors que son ronronnement berce encore la fin de notre nuit écourtée, nous hissons la grande voile afin de profiter des petits déplacements d'air. Dès la sortie du golfe, nous mettons cap à 300 pour pointer vers Antibes directement. Nous contemplons alors le mont Astu éclairé par les premiers rayons roses du soleil.
A mesure que l'on s'éloigne, la lumière rasante vient projeter son doux feu sur le maquis et les criques que nous avons arpentés lors de cette journée d'escale. Erick va se reposer quelques heures. Jusqu'à 10h30, le bateau file à 6 nœuds dans la direction donnée au pilote automatique. Le soleil s'élève et les conversations sur le pont avec. On envoie le génois lorsqu'une brise sud ouest vient gonfler la GV. A la fin de mon quart, l'île de beauté n'est plus qu'un joli dégradé de bleus à l'horizon. Entre les quarts, quand tout va bien, c'est l'occasion de se reposer et de faire les choses dont on a jamais le temps de faire habituellement. Je m'attelle alors à apprendre les noms de tous les nœuds que l'on peut trouver dans le Bloc Marine. J'envisage d'aller me coucher lorsque je suis alerté par un branle-bas-de-combat sur le pont. La ligne que l'on traîne s'est subitement déroulée. C'est la 3ème fois en une semaine que cela nous arrive. Le bulletin de notre pêche a jusqu'alors été négatif: 2 leurres de perdu. 0 poisson pêché. Cette fois-ci nous savons comment réagir. Les 2 tentatives précédentes auront été de précieuses répétitions. Erick se précipite sur la canne à pêche. C'est lui qui fatigue le poisson qui vient de ferrer. L'exercice est subtil, il s'agit de ramener la proie en lui laissant suffisamment de temps pour qu'elle se fatigue, afin d'éviter qu'elle n'arrache la ligne. Cosme, à la barre à ce moment, a pour mission de réduire au maximum la vitesse du bateau. Elora prépare un nœud coulant pour la remontée de la proie et aide Erick à tirer la ligne. Quant à moi je vais chercher le harpon et le charge. En l'absence d'épuisette, c'est le seul moyen de remonter un poisson de plusieurs kilos à bord. Après de longues minutes de cet étrange et silencieux ballet, nous apercevons une lueur brillant à quelques mètres de fond. C'est un thon d'une bonne taille. Méticuleusement, il est ramené sur le flanc tribord du Dune. Après une frayeur où nous pensions le laisser échapper, on l'harponne une bonne fois pour toute. La remontée est un exercice difficile, et sa peau glissante manque plusieurs fois de nous priver de ce que l'on voit déjà comme de délicieux repas. Une fois le thon, bien calé dans le cockpit, et après avoir contemplé ce superbe animal marin de 8 ou 9 kg, nous nous attelons à sa découpe. Heureusement la météo est plutôt favorable. La houle n'est pas trop importante, bien que la gîte rende la chose un peu difficile. Débutant en la matière, nous extrayons, avec Cléa, avec plus ou moins d'habilité des filets de l'animal. Chacun discute de la meilleure façon dont on consommera ces 7kg de chair. Les abats sont relargués à la mer, où ils nourriront immédiatement d'autres thons dont nous avons aperçu les lueurs. Ce qui n'est pas immédiatement séchés et assaisonnés avec un mélange de sel, sucre et citron, est stocké au frigidaire. Difficile de faire un circuit plus court et consommant moins de plastique. L'opération nous aura tout de même pris deux bonnes heures. Le vent nord-ouest forcit un peu, et il est temps de manger.
Je tente de cuisiner un riz au thon saisi dans l'huile à la poêle. Une fameuse recette suédoise selon Erick. Mais la gîte et la cuisine ne font jamais très bon ménage et ce n'est pas fameux. D'autant plus qu'entre temps, la ligne que nous avions relancé a à nouveau ferré. Avec la météo qui a forçie, Cléa qui est un peu malade et la fatigue qu'ont généré la dernière prise, la nouvelle est accueillie avec plus de tiédeur que la première fois. On enroule à nouveau le génois. Erick gère cette fois-ci à la fois la barre et le moulinet de la ligne. Tout le monde essaye de retrouver son poste. Le poisson qui a ferré semble beaucoup plus massif que celui que l'on vient de pêcher. En chargeant le harpon je me demande où on va bien pouvoir le stocker, sachant que le petit frigo est déjà plein. Une rafale vient renforcer la pression dans la GV. Erick souhaite profiter de l'occasion pour prendre un ris. On décide d'affaler complétement la grande voile. Finalement, le poisson réussit à nous échapper. Tout le monde pousse un soupir de soulagement. D'abord le leurre n'a pas été arraché, et cela va nous éviter une pénible découpe dans un temps forcissant. Le leurre est la canne sont rangés. A la proue, 2 cagnards claquent sous le vent. Le bout qui les tenait s'est arraché. On décide d'aller couper les dernières attaches pour pouvoir les ranger avant qu'ils ne s'endommagent plus ou qu'on les perde. Après avoir soigné une blessure au doigt due à cette manœuvre, je vais me reposer 2 petites heures. Je suis réveillé en sursaut par le claquement du génois et des cris sur le pont. Je m'habille le plus vite possible, tout en observant les allers retour nerveux d'Erick entre la barre et le pont. En sortant je vois Clea et Cosme bringuebalés par la houle au niveau de la proue, qui tentent d'enrouler le génois qui claque violement. Il est bloqué par son écoute babord; Celle-ci s'est arrachée hors de l'avaleur d'écoute. Elles s'est entortillée autours de l'écoute tribord. Avec Elora, on reborde alors le génois pour limiter l'endommagement de la voile à cause du claquement. Dune repart alors de plus belle . Il faut absolument réduire le génois. La manœuvre a échoué. On désentortille cette écoute tant bien que mal, on la refait passer dans l'avaleur après avoir découpé son extrémité car nous n'arrivions pas à défaire le nœud bloquant. Cosme et Cléa enroulent 2 ou 3 mètres de génois. La situation semble à nouveau sous contrôle.
Pourtant, l'extrémité du génois est un peu endommagée car la bande anti-uv s'est arrachée. Rien de bien grave mais il faudra recoudre lorsque l'on sera à quai. Le nerf de chute du génois flotte au vent et a la fâcheuse tendance à se coincer dans le radar. Le nerf de chute est retendu et on enroule à nouveau un peu afin d'éloigner la chute du radar. Le fort vent soudain à l'origine de cette manœuvre est un grain. Il se met ensuite à pleuvoir, et le vent chute brutalement. Nous passons de 7 à 4 nœuds de vitesse en un rien de temps. Avec Cosmes nous faisons plusieurs fois des allers-retours entre le cockpit et la proue pour relancer le génois progressivement. La mer se fait moins grosse, mais le tonnerre gronde encore. Quand il est proche, on sent l'ensemble de la coque résonner ce son très puissant. La sensation est assez agréable. Progressivement la brise revient après avoir basculée nord ouest. Nous sommes désormais au près serré, on borde au maximum le génois. La gîte augmente. Je tiens la barre. Le bateau est extrêmement stable à cette allure, la sensation est très satisfaisante. Le pilote est activé et ne décroche quasiment pas. Des heures durant, on progresse vers la baie de Nice, avec la compagnie sporadiques de dauphins qui font quelques bons à coté de l'étrave. En plein sanctuaire pélagos, leur nombre est assez impressionnant. A 50 miles des côtes, leur concentration est si forte que j'en compte 30 en 10 minutes.
Nous progressons à bonne allure et alors que la ligne des monts du continent se fait plus précise, un magnifique couché de soleil donne au ciel une teinte orangée avant que les nuages roses ne se confondent avec l'eau de la même couleur. La lumière rasante donne des lueurs magnifiques aux paquets d'eau soulevés par l'étrave.
Les lumières de la côtes se font de plus en plus distinctes, et l'on maintient le cap pendant deux heures en direction du phare d'Antibes. Dans la baie de Nice, alors que l'on se prépare à l'arrivée au port, en accrochant amarres et part battes, 2 dauphins nous accompagnent joyeusement une dernière fois. Sur les coups de minuit on entre dans le port d'Antibes et l'on vient s'amarrer à la même place qu'il y a tout juste un mois. Le second tour va pouvoir commencer. Affamés, on prépare un riz pilaf avec le thon salé et séchés après une journée de navigation. On se régale, et épuisés, toute la troupe s'endort sur les coups de 2h du matin, ressassant les souvenirs intenses de ce retour sur le continent.
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